Limousheels
Romancière
Extraits
Série thriller - policier - aventures - aviation
Les aventures de Sylvie Lachan
Romans publiés
Sortie froide, chapitre 1
Samedi 20 juillet 1996, 05h00, Cayenne, Guyane
— Je vais te raconter une histoire…
À l’arrière de l’antique camionnette, Sua, la vieille Guyanaise au large sourire où quelques dents manquaient, attira la petite Ina sur ses genoux maigres. À six décennies et quelques jours près, elles avaient le même âge.
À l’avant de l’antique camionnette, Sylvie Lachan se retourna, attendrie. Autant par la petite fille que par le couple d’agriculteurs qui les accueillaient depuis quelque temps. Le gîte et le couvert contre de l’aide et des travaux. Réciprocité de la charité humaine et de l’assistance matérielle. À sa gauche, Lis, le mari de Sua, conduisait les yeux presque fermés sur la route nationale menant au marché de la capitale de ce département d’outre-mer. Capitale, préfecture, chef-lieu, Sylvie ne savait pas vraiment.
Les fenêtres ouvertes répandaient un air presque frais dans l’habitacle aux multiples odeurs, à moitié organiques, à moitié minérales, entre fruits et légumes, terre et poussière. Avec, peut-être, un soupçon de vieux cuir.
À l’arrière, la voix de Sua déversait un flot lent de paroles que Sylvie n’arrivait pas à saisir. Plus une mélopée qu’un discours. Plus une mélodie qu’une histoire. Ina buvait ses mots, la bouche entrouverte, les yeux comme des billes rondes et brillantes malgré l’obscurité. Fascinée par ce qu’elle voyait et entendait, elle céda à la curiosité et son petit doigt parcourut la peau striée, creusée, sillonnée, tannée de la Guyanaise qui n’en fut ni surprise ni blessée, et qui n’interrompit pas son récit aussi coloré que sa robe.
Sortie froide, chapitre 10
— Je le vois ! lança Sylvie, l’index pointé vers l’avant. Pile devant nous, au ras de l’eau !
Ina plissa les yeux. Sylvie se corrigea :
— Ah non, pardon, je les vois ! Ils sont trois…
— Le point noir ? demanda Ina.
— Oui !
— C’est le Transall de Dodo ?
— Non !
Et puis, d’un seul coup, il fut là, ils furent là. Dans un terrible rugissement, un gigantesque quadrimoteur frôla le voilier, plus bas que le haut de ses mâts. Ina se boucha les oreilles. Sylvie ressentit autant qu’elle entendit le hurlement grave des énormes moteurs. Dans ses tripes, dans sa cage thoracique, dans sa tête. Par tous ses sens. L’odeur du kérosène brûlé remplaça l’iode. Un avion trop gros et trop près pour être vu dans son ensemble par un œil humain.
Deux copies conformes passèrent de part et d’autre de l’Aufrédy. Sylvie leva sa main libre et, le temps d’un infime instant, son regard croisa celui du pilote.
— Rhoooo ! Le pied qu’ils doivent prendre à voler aussi bas ! feula-t-elle de plaisir. Ça doit être génial !
Unique sourire sur le voilier.
— Mais merde ! s’écria Soaz. Ce con m’a foutu les j’tons !
Les trois appareils avaient déjà disparu. Leur son s’étiolait. Seules restaient une vague odeur de brûlé et la sensation de puissance de l’être humain.
— Ils s’amusent bien, ces enfoirés de Canadiens ! grogna Loïck.
— Euhhhh…
Sylvie grimaça. Tous les regards se tournèrent vers elle.
— Ce ne sont pas des Canadiens… Des Russes…
Sortie froide, chapitre 11
Fabien se réveilla en sursaut. En urgence. Plus proche de la panique que de la conscience. Sans réfléchir, il rejeta son duvet, fouilla dans son sac, ouvrit précipitamment la tente, enfila ses chaussures sans prendre et perdre le temps de les lacer. Et fuit au hasard devant lui.
Le froid ne le surprit pas. D’autres sensations étaient trop urgentes, trop violentes, trop saisissantes. Un gros rocher lui sembla parfait. De toute manière, il n’avait plus le temps. Il se rua derrière. Le tsunami approchait.
Fabien baissa son caleçon long, s’accroupit et se vida. Une vidange interminable et bruyante. Mélange de honte et de soulagement. Il grimaça. Gastro, tourista, diarrhée, courante, chiasse, foirade, cavalante, tourmente, drouillasse. Des mots différents pour un même résultat.
Quand le flot se tarit, Fabien se sentit mieux. Pas longtemps, car des sensations autres que le fer rouge qui lui fouillait les tripes l’assaillirent. Migraine, fatigue, vertige, faiblesse.
Une seconde vague traîtresse surgit sans prévenir et faillit le surprendre à se rhabiller, à moitié relevé, la main sur son caleçon. Le sol caillouteux reçut sans broncher cette deuxième couche.
Ses jambes finirent par protester d’être pliées, Fabien se redressa enfin. Il n’avait aucune idée du temps passé derrière son rocher, l’esprit aussi vide que ses intestins. La sueur sur son front commençait à geler. Le ciel était bleu, le soleil brillait, mais aucun oiseau ne chantait.
Il s’essuya et remonta son caleçon. Il déposa délicatement une large pierre plate sur la mare marron qu’il laissait. Par miracle, il ne s’en était pas mis partout. L’expérience de la vie en pleine nature.
Ses pas pesaient lourd, marqués par autant de frissons.
— Merde ! Toi aussi ?
La voix rauque le fit sursauter. Trois silhouettes hors des tentes, trois visages pâles, trois rouleaux de papier toilette.
Sortie froide, chapitre 11
Il soupira, enlisé dans ses mauvaises explications :
— J’ai fait une énorme connerie, je le sais. Je ne peux pas la changer. Pourtant je rêve de revenir en arrière pour tout effacer. Je ne peux que te demander à genoux de me pardonner. Je suis…
— Con à être balancé par-dessus bord et à être empalé sur un iceberg pendant l’éternité ! grinça Sylvie.
— Oui…
Erwan esquissa un début de sourire :
— Surtout que je vole très mal.
— Voler, même très mal, n’est pas le principal problème…
Il fronça les sourcils, hésita, puis comprit et soupira encore une fois :
— J’atterris très mal…
Sortie froide, chapitre 12
— Qu’est-ce que tu fais encore ? demanda Erwan.
Sylvie soupesait les deux types de cartouches, l’autre fusil sur les genoux. Elle leva les yeux :
— J’anticipe !
Elle tapota le crâne d’Erwan avec son index :
— Si nounours vient te chatouiller les orteils, tu seras bien content d’avoir une arme déjà prête !
Une capacité de cinq cartouches. Sylvie se décida :
— Deux rouges pour faire peur, une noire pour se défendre, une rouge pour refaire peur, une noire en dernier recours.
Elle fixa Erwan :
— Je le garde, hein ? Des fois qu’un nounours breton ait une petite fringale de grosse vache limousine en plein milieu de la nuit !
Sortie froide, chapitre 16
— Une demoiselle avec du caractère, sourit l'ambassadeur en se penchant vers Ina et son index. Ta maman doit être fière de toi.
— Telle mère, telle fille, murmura une nouvelle fois Luiz. Peur de rien ni de personne.
— Oui, mes trois mamans sont fières de moi, annonça Ina, le doigt toujours levé vers le visage du diplomate.
— Euhhhh…
Lèvres pincées et sourcils froncés pour certains, sourires attendris pour d’autres. Ina leva davantage son index, comme une élève en classe, prête à réciter sa leçon, presque sur le nez de l’ambassadeur :
— Oui, mes trois mamans ! Ma première maman, qui est morte et qui est une ange qui veille sur moi. Mama Sy qui est ma deuxième maman. Et ma troisième maman qui est la maman de ma deuxième maman qui est donc aussi ma sœur !
Sortie artistique, chapitre 5
Elles plongèrent vers la Vézère et la ville d’Uzerche. La rivière franchie, elles tournèrent à gauche sur l’avenue du Général de Gaulle.
— C’est vraiment très beau, admira Amandine.
— La perle du Limousin ! s’exclama Sylvie.
— Je croyais que c’était toi, la perle du Limousin.
— Aussi ! Mais en moins âgée ! Tiens, est-ce que tu connais la différence entre une femme et une perle ?
— Euhhhh… Non…
— Je te laisse le découvrir par toi-même ! pouffa Sylvie.
Amandine se jeta sur son téléphone.
— T’es méganulle !
Sortie artistique, chapitre 5
Sylvie suivit avec Pierre. Elle se pencha vers lui :
— J’ai raté quelque chose ou il ne m’a pas balancé la moindre méchanceté ?
— J’en suis également fort surpris… répondit Pierre. Une opération séduction ?
— Il a du boulot…
— Je l’ai croisé dans la semaine et il semblait sincèrement inquiet au sujet de votre santé…
Sylvie le dévisagea avec de grands yeux :
— C’est louche… Il y a anguille sous roche…
— Vous voyez le mal partout, madame. Peut-être est-il humain, tout simplement ?
— Lui, humain ? Pffff… Bon… Vous avez raison, il n’y a pas anguille sous roche.
Elle se pencha vers lui, la main sur son bras :
— Mais baleine sous gravillon !
Sortie artistique, chapitre 6
La piste approchait. À cause du vent, Mathias maintenait un fort angle de dérive, le nez pointé franchement sur la droite alors que la trajectoire de l’avion par rapport au sol était à peu près dans l’axe d’atterrissage, aux rafales près.
Encore une dizaine de mètres de combat avant l’impact que le Français espérait le moins violent possible.
— Un troupeau de caribous traverse la piste…
Mathias comprit la nouvelle invention de son instructeur et poussa l’unique manette vers l’avant. Cette action dissymétrique modifia l’aérodynamisme du Twin Otter, obligeant le pilote à s’agiter, autant avec le volant qu’avec les pieds et le compensateur.
— Les caribous sont partis, mais une tempête tropicale nous rattrape.
— Tropicale ? sourit Mathias malgré lui.
— Oui, c’est le changement climatique. Le contrôleur nous informe que tu n’as plus que trente secondes avant qu’elle n’arrive.
Mathias réduisit lentement les gaz tout en orientant les commandes de vol à l’inverse de ce qu’il venait de faire. La piste était au-dessous, toute proche, mais elle oscillait dangereusement devant ses yeux. Il fit descendre le Twin Otter, balança un bon coup de pied à gauche et inclina les ailes vers la droite pour le garder dans l’axe de la piste tout en contrant l’effet du vent.
La roue droite impacta le sol. Durement. L’avion rebondit.
— Comme d’hab… soupira Mathias au fond de son cerveau désespéré.
Il remit un peu de gaz. La roue droite toucha à nouveau. Moins durement. Le Twin Otter rebondit encore une fois.
— Putain, je progresse…
La roue droite embrassa définitivement l’asphalte, suivie peu après par la gauche.
Sortie artistique, chapitre 8
Elle soupira et expliqua :
— Non, c’est pas compliqué. 1471, c’est presque mille cinq cents, à deux pour cent près. 1,949, c’est presque deux, à deux pour cent près. Environ. Et mille cinq cents fois deux fois neuf, ça fait trois mille fois neuf, donc vingt-sept mille. Mètres. Auxquels il faut enlever les bouts de pour cent. Deux fois deux pour cent. Et quatre pour cent de vingt-sept, ça fait presque un. Donc vingt-six kilomètres…
Sortie artistique, chapitre 9
— Monsieur le maire, vous aviez raison, dit Sylvie. Il y avait bien un visiteur nocturne.
— Ahhhh ! Merci madame la préfète ! Les gendarmes l’ont attrapé ?
— Non, il a réussi à s’enfuir.
— Je vais demander du renfort à la brigade d’Uzerche, chuchota Luiz.
Sylvie répéta l’information et rassura l’élu. Quand elle raccrocha, elle comprit que son ami se contenait :
— Bon… Écoute, tu fais comme tu le sens. Si tu ne veux pas réveiller ton chef parce que tu n’as pas le même avis que moi et que tu juges que c’est sans intérêt, c’est ton problème. Juste pour ton information, madame la préfète est à côté de moi et prend l’affaire très au sérieux. Bonne nuit !
Et il raccrocha en grognant.
— Ohhhh, mais que c’est moche ! se moqua Sylvie. Serais-je l’argument l’ultime quand môssieur est à court d’idées !
— Je cherchais le mot, soupira Luiz. Mais oui, c’est ça, l’argument ultime ! Ces planqués m’épuisent et je n’avais pas envie d’y passer la nuit.
— Mais que fait-on alors ? demanda Amandine. On ne va quand même pas laisser ce type revenir creuser !
— La cavalerie d’Uzerche va arriver, ricana Luiz.
— T’es sûr ?
— Sûr et certain ! L’argument ultime marche à tous les coups. En ce moment, ça doit galoper dans la brigade d’Uzerche !
Sortie artistique, chapitre 11
Ses pieds touchaient à peine le sol. Pâle, le nez en sang, les poignets menottés dans le dos.
— Une chute malencontreuse… s’excusa le gendarme.
Son sourire sarcastique démentait sa repentance.
— La maladresse est un véritable fléau, plaisanta Sylvie.
— Je veux mon avocat, gémit le blessé.
— Pour défendre l’adjudant-chef que vous avez agressé d’un coup de nez dans son poing ? demanda Sylvie.
Sortie déferlante, chapitre 10
Un cri aigu les interrompit. Ils se retournèrent. La riche Roxane, sur le point de défaillir, appuyée sur l’épaule du commandant, des larmes ruisselant sous ses grosses lunettes de soleil. Titubante, elle redescendit les marches qu’elle venait de gravir, soutenue par l’officier, plus embarrassé et impatient que compatissant.
— Eh bien… dit Myriam, surprise. Il semblerait qu’elle ait un cœur finalement.
— Ou un cul… grommela Coumbala.
Passagers et membres d’équipage se rassemblèrent par petits groupes, échangeant hypothèses et certitudes les plus farfelues. Une ambiance lourde de regards fuyants et de messes basses.
— Sympa la croisière, gronda le retraité parisien. Alors qu’il en avait peut-être juste marre et il a voulu aller aux putes aux Canaries !
— C’est quoi aux putes ? demanda Ina.
— Euhhhh… au but ! répondit Sylvie. Avec un b comme bisou. Tu sais, au foot, il faut marquer des buts. Il a peut-être voulu aller jouer au foot… et marquer des buts…
Sortie déferlante, chapitre 11
Un crépitement et des étincelles troublèrent la mer et la nuit. Sylvie et Erwan bondirent en même temps vers les haubans.
Une détonation assourdie claqua dans l’air, des pas battirent le bois. Un trait lumineux s’étira comme une flèche enflammée.
Sylvie jeta un regard vers le bas. L’ombre s’engouffra dans le rouf. Puis vers le haut. Un rond vert piquetait le zénith et le voilier d’une teinte monochrome.
Erwan sauta sur le pont et se précipita à la poursuite de l’individu. Sylvie atterrit à son tour et hésita un bref instant. Elle ne les suivit pas, mais courut vers le mât de misaine, le contourna, entra sous le gaillard d’avant, glissa et manqua de tomber. Elle se rattrapa de justesse, se pencha dans l’escalier et aperçut l’ombre qui fuyait tout en bas. Erwan arriva du couloir des cabines passagers et dévala les marches menant à l’étage inférieur.
Sylvie se bloqua. Son cerveau hurlait, un détail clochait. Elle trouva. L’odeur écœurante et la viscosité du liquide sous ses semelles.
— Ohhhh merde !
Elle baissa sa lampe. Une flaque rouge sombre. Elle s’accroupit. Ce n’était pas un reste de la soirée alcoolisée.
— Du sang ?
L’hémoglobine collait au bas de la cloison. Sylvie leva la tête et sa lampe. Ce n’était pas une cloison, mais la porte des toilettes. Le sang s’écoulait lentement, comme s’il peinait à se faufiler par la mince fente malgré la gravité et l’inclinaison du voilier.
Sortie déferlante, chapitre 11
— Tu as vu mama Sy, je sais nager ! s’écria Ina.
— Oui, j’ai vu. Bravo ! Je suis fière de toi. N'oublie pas de remercier Julien.
Trempée, Ina bondit dans les bras de son maître-nageur, sec au-dessus de la ceinture, et se serra contre lui. Il regarda Sylvie en soupirant et leva le pouce de dépit.
— Ohhhh le pauvre, grimaça Myriam. Mais t'es vraiment terrible !
— Désolée, c’était trop tentant et trop facile…
— Mama Sy, c’était bien comme câlin pour dire merci ?
— C’était parfait, s’esclaffa Sylvie. Tu es adorable !
Devant eux, légèrement sur tribord, le soleil rejoignait l’horizon. Ils sortirent de l’eau pour admirer sa noyade. La lumière rassurante allait sombrer dans les angoisses de la nuit.
— C’est beau, dit Sylvie.
— C’est effrayant, dit Myriam.
— C’est l’heure de l’apéro, dit Coumbala.
Tous les onze restèrent ainsi, à contempler la disparition du cercle orange dans les flots bleus, cet instant coloré et unique de la journée, propice à tant d’émotions, lent et rapide à la fois, bascule entre deux mondes.
L'obscurité tomba, comme un rideau au théâtre. Un remue-ménage remplaça le silence admiratif. L’équipage préparait une nouvelle manœuvre.
Sortie déferlante, chapitre 14
L’Aufrédy était complètement silencieux. Personne dans les couloirs, personne dans la salle à manger. Sylvie et Ina prirent de quoi grignoter et montèrent sur le gaillard d’arrière. L’air était doux. Dans le ciel bleu foncé glissaient quelques nuages, légers et fluides. La tempête était derrière eux, de grosses masses obscures, loin au sud-est, s’illuminant aux premiers rayons du soleil. Sur l’océan à peine agité, il n’y avait plus d’écume au sommet des vagues.
Une forme sombre était avachie à côté de la barre. Joachim. Il sursauta quand elles arrivèrent près de lui.
— Bonjour ! s’exclama Ina en se mettant sur la pointe des pieds pour l’embrasser.
Le marin couvert de tatouages se laissa faire, par réflexe, se frotta les yeux et s’étira.
— Comment ça va ? demanda Sylvie.
— Ça va. Un peu dur, mais ça va. Sale nuit…
— Oui, c’est peu de le dire.
Elle lui tendit un gâteau qu’il s’empressa de dévorer.
— Tu es resté tout seul ?
La bouche pleine, il désigna la timonerie. Ina ouvrit la porte et Erwan apparut. Un albatros échoué, trempé et dégoulinant, vautré à moitié par terre, dans un coin, les cheveux encore mouillés, les bras et les jambes en vrac, le bec grand ouvert. Sylvie éclata de rire :
— La grande classe !
Joachim et Ina rirent à leur tour, ce qui le réveilla :
— Hein ? Quoi ?
— Les fins de soirée ne sont pas très glorieuses dans la marine, se moqua Sylvie.
Sortie pastel, chapitre 2
Sylvie avait essayé de suivre la visioconférence. Au début. Quelques minutes. Mais elle avait rapidement abandonné devant le trop grand nombre de participants, le trop grand nombre de ministères impliqués, le trop grand nombre de structures concernées, le trop grand nombre de sigles employés.
— Quelle complexité ! Quel bordel plutôt ! grogna-t-elle pour elle-même, son micro coupé depuis bien longtemps.
Elle n’avait d’ailleurs dit qu’un seul mot. Bonjour.
Son téléphone l’attirait. Comme une boussole par un aimant. Il avait vibré plusieurs fois et un prénom s’était affiché à deux reprises, faisant papillonner ses tripes. Un prénom. Une rencontre récente, aussi incroyable qu’imprévisible, qui avait bouleversé sa vie. Et son corps qui réagissait à chaque fois qu’elle y pensait.
Et Sylvie craqua. Sans surprise. Avec soulagement. Sans culpabilité. Avec plaisir.
Le premier message faisait référence à son salut aérien de la veille :
Quand je pense que tu t'envoies en l'air sans moi !
Elle dévora le second :
À peine de retour au bureau et des envies de vacances. J’y emmènerais bien une grande rousse qui pourrait me servir de parasol...
Sylvie s'empressa de répondre :
Je fais très bien la cruche et la potiche, me transformer en parasol devrait être un jeu d'enfant !
À défaut de vacances, seule une guerre nucléaire pourrait m'empêcher de m'envoyer en l'air avec toi ce week-end...
Mais le week-end lui semblait beaucoup trop lointain. Elle était impatiente. Mais apeurée.
Sortie pastel, chapitre 5
Au café du matin avec ses collègues, Emma avait monopolisé la parole sur son échographie de la veille. Elle en avait été tellement émue qu’elle ne pensait qu’à ça. La nuit précédente, elle s’était réveillée plusieurs fois en pleurant. Des pleurs de joie et de bonheur. D’avoir enfin vu ce petit être qui allait transformer sa vie et lui donner un nouveau sens. De mettre enfin des images et des sons sur un concept presque abstrait.
Emma était si heureuse qu’elle avait des crampes au visage à force de sourire. L'avant-bras gauche entourant son ventre, elle sortit en trottinant de la pièce où ses collègues continuaient à se moquer affectueusement d’elle et de son insistance à vouloir absolument leur montrer les photos de son bébé.
Dans le couloir, son épaule heurta quelqu’un. Sans perdre sa bonne humeur, elle s’excusa. L’homme ne répondit pas à ses mots qui n’étaient que douceur, joie et gentillesse. Il se retourna, le regard dur, un long objet entre les mains.
Emma ne comprit pas. Le bruit fut assourdissant.
Emma ne comprit pas pourquoi ses bras refusèrent de lui obéir quand elle voulut porter ses mains à ses oreilles pour se protéger de cette agression sonore.
Emma ne comprit pas pourquoi ses doigts se crispaient sur son ventre.
Emma ne comprit pas pourquoi trois jolis points rouges fleurissaient sur son pull rose pâle.
Emma ne comprit pas pourquoi elle avait le souffle coupé et pourquoi son corps lui envoyait des signaux d’alerte, de choc et de douleur.
Emma comprit qu’elle ne pensait qu’à la merveille qui grandissait en elle. L’amour de sa vie.
— Mon bébé, gémit-elle.
Emma ne comprit pas pourquoi ses jambes fléchirent, pourquoi sa vue se brouilla, pourquoi les sons devinrent indistincts, pourquoi son cerveau s’embrumait.
Emma ne comprit pas.
Emma ne comprit pas pourquoi les deux cœurs de deux êtres humains s’arrêtèrent en même temps alors que le corps qui les portait tous les deux n’avait pas encore touché le sol.
Sortie pastel, chapitre 5
Karim regarda Nadia se lever. Ou plutôt il regarda les fesses de Nadia se lever et onduler devant lui à chacun de ses pas. Il était sûr qu’elle exagérait volontairement son déhanché et sa lente démarche.
Pour faire durer le plaisir, pour faire durer son plaisir, pour faire durer leur plaisir.
Ils avaient entendu leur collègue arriver, celui du bureau juste à côté du sien. Celui de Nadia était plus loin dans le couloir. Depuis qu’il avait été muté à Limoges, en septembre dernier, Karim draguait Nadia. D’abord très timidement, trop timidement. Il ne savait pas faire, trop timide justement, trop peu sûr de lui. Puis, petit à petit, il avait osé un peu plus, mais très peu. Trop peu.
Le cœur de Karim avait explosé dès qu’il l’avait vue, le jour de son arrivée. Le premier septembre à huit heures du matin, il avait été ébloui par ce rayon de soleil aussi inattendu que merveilleux.
Karim était dingue d’elle. Totalement.
Bien sûr, Nadia avait un petit ami. Depuis longtemps. Elle était beaucoup trop intelligente et trop belle pour être célibataire. Mais elle le regardait aussi. Ou, plus exactement, il avait l’impression qu’elle le regardait. Il se posait sans cesse les mêmes questions :
— Comment savoir ? Comment en être certain ?
Deux jours plus tôt, elle avait accepté une invitation pour une exposition de peinture. Nadia était la seule œuvre d’art qu’il avait admiré.
Le soir, après avoir longtemps hésité, il lui avait avoué par message qu’il avait été tenté de la prendre par la taille et de l’embrasser à cette exposition. Les mains tremblantes de peur autour de son téléphone, il avait craint et espéré sa réponse. Mais elle ne s’était pas vexée et lui avait même écrit qu’il aurait peut-être dû essayer.
Réponse énigmatique, mais encourageante.
Et ce matin, quelques minutes auparavant, Karim lui avait passé la main dans les cheveux en lui faisant la bise. Nadia n’avait rien dit. Il aurait pu l’embrasser sur les lèvres. Peut-être. Il aurait dû. Peut-être.
— Comme savoir ? Comment en être certain ?
Karim était heureux. Amoureux et heureux. Et il regardait ces fesses de rêve se balancer devant lui. Arrivée à la porte, Nadia s’arrêta et se retourna vers lui, un sourire malicieux sur ses belles lèvres.
Sortie pastel, chapitre 6
Lucie donna le mégaphone au plus gradé de ses gendarmes et se tourna vers les autres :
— Bon… Tous les trois, vous allez vous mettre chacun au volant d’une des voitures qu’on vient de pousser. À mon signal, et seulement à mon signal, vous allumerez les phares. Ce signal sera trois flashs avec ma lampe. Compris ?
Seul le silence lui répondit.
— Compris ? grogna-t-elle.
— Euhhhh… oui, souffla une voix timide.
Lucie eut un doute :
— Répétez-moi ce que vous devez faire !
— Euhhhh… on va s’asseoir dans les voitures.
— Et ?
— On allume les phares, répondit une autre voix.
— Quand ?
— Quand quoi ?
— Putain… Quand est-ce que vous allumez les phares ?
— Euhhhh… quand vous faites signe avec votre lampe.
— Combien de fois ?
— Combien de fois on allume les phares ?
— Bordel, non ! Combien de flashs avec ma lampe pour que vous allumiez vos phares ?!
— Euhhhh… trois fois.
— Putain… C’est pas gagné, soupira-t-elle.
Elle inspira longuement et se calma.
— Tous les trois, allez-y, leur ordonna-t-elle. Chacun dans une voiture et ne claquez pas les portières.
Les trois gendarmes filèrent. Lucie se tourna vers le dernier de ses hommes, celui avec le mégaphone. Un bruit métallique l’interrompit. L’une de ses trois lumières en uniforme avait dû se cogner dans une voiture.
— Putain le con… Bon alors, quand je te le dirai…
Une portière claqua sèchement dans le silence de la nuit.
— Mais merde, c’est pas vrai ! grogna-t-elle. T’as intérêt à être moins tocard toi ! Donc, à mon ordre, tu leur diras de sortir de la maison. OK ?
— OK.
— Allez, viens !
Masquant l’extrémité de sa lampe pour ne laisser filtrer qu’un filet de lumière, Lucie s’avança, suivie de son subordonné portant le mégaphone, à droite des voitures, derrière un tas de bois de chauffage.
— Lieutenant ? chuchota son collègue.
— Quoi ?
— Mais… qu’est-ce que je dois dire exactement ?
— Putain, Luiz avait raison, une vraie bande d’intellos… pensa-t-elle. Vraiment raison…
Lucie éteignit sa lampe et s’approcha de lui :
— Et bien tu leur dis, gendarmerie nationale, vous êtes encerclés, veuillez sortir de la maison les mains en l’air.
— OK.
— Répète.
— Euhhhh… Vous êtes encerclés. Sortez.
— Et merde…
Un message illumina l’écran de son téléphone. Keziah.
On est en place. Vas-y. Lumière et sommation.
— À toi de jouer ! murmura Lucie.
— Euhhhh…
— Gendarmerie nationale, souffla-t-elle.
— Gendarmerie nationale, répéta l’homme.
Lucie soupira :
— Putain ! Il faut l’allumer ! Le mégaphone ! Et ton cerveau!
Elle dut l’aider à trouver le bouton.
— Répète ce que je te dis, OK ?
— OK !
— Mais non bordel, pas le OK ! Pffff… Allez répète. Gendarmerie nationale.
— Gendarmerie nationale !
— Vous êtes encerclés, veuillez sortir de la maison les mains en l’air.
— Vous êtes encerclés ! Veuillez sortir…
Sortie balkanique, chapitre 3
Mathias jeta un regard sur la carte. Une vallée arrivait à la perpendiculaire. Une ville émergea sur la gauche. Foča. À peine visible, elle disparut en une seconde.
Son leader, le capitaine Dupart, légèrement en avant, plus bas et sur sa gauche, s’inclina sur sa droite. Mathias laissa le Mirage défiler devant lui. Il caressa la détente du canon de trente millimètres de son avion. Plus de mille obus à la minute. Capable d’un infernal déferlement de métal, de feu et de destruction.
— Quelle tentation ! murmura Mathias. Un seul coup au but suffirait à débarrasser la terre de cet enfoiré… Et qui saura ?
L’appareil du capitaine Dupart approchait du point de visée de son collimateur tête haute.
Mathias enleva la sécurité de la détente et baissa imperceptiblement le nez de son Mirage. Le canon était prêt à cracher la mort en morceaux de près d’un demi-kilo. Un appui et moins d’une seconde plus tard, l’odieux officier serait éparpillé façon puzzle.
Son doigt s’approcha de la détente. Le point de visée était maintenant sur l’avion. Le pilote inspira longuement.
Sortie balkanique, chapitre 4
— Merde !
Vojislav se redressa d’un coup et, au risque de tomber, se pencha au maximum.
Un grondement montait de l’ouest. Il écarquilla les yeux. D’un seul coup, quatre avions surgirent dans le soleil couchant, au-dessus des reliefs blancs.
— Des Mirage F1 ! Les Français ! s’exclama Vojislav.
Il les regarda passer devant lui, à sa hauteur, dans la vallée de la Drina. Ils virèrent sur la gauche vers Goražde.
Son sourire changea, de surpris, il devint sauvage.
Le bourdonnement revint. Vojislav abandonna les avions de chasse et tourna la tête à gauche.
— Les voilà… murmura-t-il, excité.
Le premier Transall apparut quelques instants plus tard, légèrement plus bas que lui. Puis un deuxième. Puis un troisième. L’exaltation monta proportionnellement au nombre d’appareils qui passaient devant lui. Il serra les poings :
— La soirée va être belle !
Vojislav compta dix Transall. Il attendit. Impatiemment. Les Transall avançaient lentement, lourdement. Le dernier arriva enfin à son niveau. Sans les voir, il entendit le grondement des réacteurs de nouveaux avions de chasse. Mais cela n’avait plus aucune importance.
Sortie balkanique, chapitre 4
Mais cette stratégie suicidaire portait ses fruits, des missiles changeaient de direction et les explosions se succédaient dans le nuage de points brillants.
— Six. Sept. Huit…
C’était plus fort que lui, Mathias comptait les sinistres champignons.
— Ici Delta leader, arrosez-moi ces collines, ordonna la voix calme du chef du dispositif.
Mathias était en train de s’extasier de la sérénité de son collègue quand le message radio fut remplacé par un sourd grondement et un grésillement continu. Trois missiles venaient d’exploser à l’arrière immédiat des deux Mirage 2000 D. Le duo disparut, masqué par les nuages gris mortels.
— Merde ! Ils les ont eus tous les deux…
Malgré lui, Mathias ne put s’empêcher d’admirer le courage et l’abnégation de ces deux pilotes qui avaient perdu la vie pour sauver celle des autres.
Sortie balkanique, chapitre 4
Mathias enleva la sûreté de la détente, reprit un peu d’altitude puis piqua en visant les blindés.
Il appuya. Son Mirage trembla lorsque les projectiles quittèrent leurs nacelles placées sous ses ailes. Il bougea légèrement son appareil pour répartir les roquettes sur toute la zone.
Une fois ses paniers vidés, il redressa et inclina sèchement son avion pour voir le résultat. Il semblait bon, les explosions se multipliaient là où il avait visé.
Mathias vira à plusieurs G sur la gauche, remit la sûreté et bascula son sélecteur d’armement sur canon.
L’emplacement bombardé était couvert de petits nuages gris qui s’effilochaient rapidement. Mathias hésitait à faire un nouveau passage pour mitrailler ce qui avait pu survivre.
Sortie balkanique, chapitre 4
— La rampe est ouverte et on est prêt à larguer, annonça le major depuis l’arrière.
— Qu’est-ce qu’il y a en dessous de ton côté ? demanda le lieutenant à Sylvie. Le vent va tout envoyer à droite.
— Des arbres, de la neige… Et encore des arbres et de la neige, répondit Sylvie après avoir regardé dehors.
Mathias réalisa que la rampe du Transall était ouverte et qu’un mécanicien lui faisait signe. Il lui répondit de la main et d’un battement d’ailes.
— Début du largage, annonça le major.
Sylvie ressentit les mouvements verticaux de l’avion chaque fois qu’une palette le quittait. Elle se pencha au maximum vers l’arrière et aperçut des grappes de parachutes qui semblaient partir plus vers la droite du Transall que vers le bas.
Sortie balkanique, chapitre 4
Mathias fut surpris lorsque la palette bascula par la rampe du Transall. Elle tomba, mais plusieurs parachutes s’ouvrirent immédiatement au-dessus d’elle. Une seconde palette suivit. Puis une troisième. Et enfin une quatrième.
Mathias regarda les colis dériver. Le vent était fort et devait taper contre les reliefs. Les palettes n’avaient pas l’air de descendre.
— À moins que les caisses ne soient vides…
La radio grésilla :
— Roméo quatre de Delta cinq. Je suis à la limite, je dois rentrer.
— Compris Delta cinq. Bon retour. Et merci.
— Merci et bon vol à toi !
Mathias regarda le Mirage 2000D virer et prendre de l’altitude. Il ressentit une pointe de tristesse à se retrouver seul. Ou une pointe de peur…
Sortie balkanique, chapitre 7
Une femme gisait au milieu du lit, les jambes écartées, un trou sanguinolent au centre de son front livide. Tels des artistes macabres, la gravité et les derniers battements de son cœur avaient tracé sur la toile immaculée de son visage un trait noir à partir de ce rond presque parfait. La ligne sombre du sang avait glissé entre ses fins sourcils, était descendue entre son nez et son œil droit, s’était infléchie à la commissure de ses lèvres et s’était courbée le long de son cou gracile avant de disparaître dans les draps clairs.
Elle devait être belle. Elle était belle. Même dans cette position obscène. Même dans cette mort atroce. Même après avoir perdu toute dignité dans son odieuse agonie.
Sortie balkanique, chapitre 13
Sylvie fouilla dans son sac et lui tendit l’objet argenté du général de Jorsac. L’officier en face d’elle sourit :
— J’ai admiré votre adresse. Je me demandais si vous alliez le ramener. Pardon, je me demandais quand vous alliez me le ramener. Je vous ai dit que je croyais en votre honnêteté et je ne suis pas déçu.
— Oui, je suis désolée. Je l’ai attrapé par réflexe et je l’ai oublié avec… ce qu’il s’est passé. Je ne m’en suis souvenu qu’hier soir quand trois hommes m’ont abordée en exigeant que je leur rende un objet leur appartenant.
— Et donc vous ne le leur avez pas donné ?
— Euhhhh… Non…
— Évidemment, ils n’étaient que trois, c’est un peu juste pour vous.
— Euhhhh… Sans le faire exprès, j’ai gardé autre chose de la Bosnie…
Tout en grimaçant, Sylvie sortit à moitié le pistolet de son sac. Le général Dranleu éclata de rire.
— Vous êtes incroyable ! Si la sécurité savait cela ! Quoique, l’arme la plus dangereuse est sûrement votre robe. Il faut donc que je m’attende à devoir expliquer trois nouveaux cadavres ?
— Non, mon général. J’ai juste tiré en l’air.
— Bien. Si vous n’avez pas abattu d’avion, ce sont des soucis en moins. Alors cet objet ?
— C’est un enregistreur, précisa Sylvie en rangeant le pistolet.
Sortie 43, chapitre premier
Vendredi 28 août 2015
13h30, Tulle.
— Noooon ?!
Stupéfaction abasourdie…
Ce fut la première pensée de Pierre Dibonné lorsqu’il reconnut la femme qui toquait à la porte de son bureau. Sa grande expérience et son impassibilité légendaire faillirent ne pas suffire à masquer son étonnement.
Il était pourtant prévenu. Ses propres recherches et quelques contacts dans différents ministères l’avaient averti qu’il risquait quelques menues surprises.
Mais, outre cette arrivée impromptue et anticipée de trois jours, il n’avait absolument pas prévu cette avalanche de superlatifs, inhabituels en ce lieu : ces cheveux trop longs d’un roux trop éclatant, ce sourire trop radieux, ce décolleté trop plongeant, cette peau trop délicate, ces taches de rousseur trop nombreuses, ces ongles trop vernis, ces cuisses trop interminables dépassant de cette robe trop courte, ces mollets trop ciselés au-dessus de ces talons trop hauts.
Pierre se rendit compte du silence, trop étiré, trop figé, trop gênant, qui venait de s’installer. Il se leva précipitamment pour accueillir sa nouvelle supérieure. Tout en lui souhaitant la bienvenue et en lui tendant la main, il soupira intérieurement, sentant filer la certitude qu’il s’était forgé que ce serait à elle de s’adapter.
Quelques minutes à ses côtés suffirent pour en avoir la confirmation, tout inexpérimentée qu’elle était. Pierre craignait maintenant beaucoup plus les ravages qu’elle pourrait causer aux différents services de la préfecture.
— Les ravages qu’elle va causer… se corrigea-t-il.
Sortie 43, chapitre 13
La pluie, le froid, la peur, l’attente, l’espoir avaient fait perdre à Sylvie toute notion du temps. Elle ne pensait à rien, les yeux fixés sur son bout de maisonnette. De temps en temps, elle jetait un regard à son voisin de mousse.
Des bruits. Sa léthargie s’évapora. Des voix. Masculines. Nombreuses. Étrangères.
— Merde…
Un coup d’œil à l’adjudant-chef Marquez. Une statue parfaitement immobile.
Le bruit d’une voiture démarrant. Puis celui d’une seconde…
Le bruit d’une voiture commençant à rouler. Puis celui d’une seconde…
— Merde…
Le bruit de la pluie…
Le bruit de tronçonneuses…
Le bruit de la pluie…
Le bruit des armes… Des tirs lointains. Nombreux, nourris, avec de petites variations dans les tonalités.
Le bruit d’une explosion…
— Merde…
La peur…
Sylvie la sentit encore. Cette peur ruisselante et pénétrante comme cette pluie, rampante, dégoulinante, s’insinuant en elle, dans son esprit, son cœur, sa respiration. Jusque sur sa main crispée sur son pistolet glacé.
Le bruit d’une porte. Des voix excitées. Masculines. Étrangères. Des cris.
Le bruit d’une nouvelle voix, cette fois sur sa gauche, forte et en français. Le cerveau en ébullition, Sylvie ne sut pas ce que cette voix avait dit.
Le bruit des armes. De nouveaux tirs. Proches.
Le bruit des armes. De nouveaux tirs. Très proches. Sur sa gauche.
— Merde…
Le bruit des balles. Sifflant, déchirant les feuilles, percutant les troncs.
Sylvie avait rentré la tête, à l’abri derrière la souche, la joue droite écrasée sur le sol humide.
L’adjudant-chef Marquez, entre statue et soldat d’élite, bougeait à peine. Il tirait de temps en temps, au coup par coup. Sylvie voyait l’arme reculer, la douille s’envoler, un petit nuage quitter le canon. Elle avait l’impression de ne pas être présente, de visualiser la scène au ralenti, d’être détachée de la situation dramatique.
— Merde…
Sortie 43, chapitre 22
Sylvie prit le temps de réfléchir. Et ce fut avec un grand sourire effronté qu’elle répondit :
— Non…
— Comment ça, non ? s’étrangla la procureur.
— Ben oui, non, le contraire de oui.
Le plus difficile fut de se retenir de rire.
— Vous vous moquez de moi ?
— Êtes-vous vraiment certaine de vouloir la réponse à cette question ? pouffa Sylvie.
— Je note donc que vous n’avez aucune réponse à apporter, proclama la procureur au bord de l’explosion.
— Notez greffier…
Nolwenn Le Plouarec émit un grognement.
— Effectivement, je ne peux pas vous expliquer, reprit Sylvie. Ou je ne veux pas. Ou les deux… En revanche, je peux vous montrer. Si vous avez deux heures devant vous. C’est comme pour le dessin, un bon exercice pratique vaut mieux qu’une longue explication !
— Je ne comprends rien à ce que vous me dites. Enfin si, je comprends que vous vous payez ma tête, gronda la magistrate en desserrant à peine les lèvres. Ma conclusion sur votre participation au complot est donc fondée.
— Vos éclairs de lucidité sont aussi rares qu’époustouflants…
Sortie 43, chapitre 22
21h25, Paris
Alizée éclata de rire, d’un rire franc et sonore. Mais personne n’y fit attention sur la terrasse couleur bordeaux du bar Le Carillon, bondée et bruyante.
Le rire d’Alizée mourut au fond de sa gorge, même si elle garda la bouche ouverte. Devant elle, au milieu des rues Bichat et Alibert, un homme commença à mitrailler autour de lui. Elle vit au ralenti les impacts sur une voiture où se trouvait un couple. Puis le tueur et son arme se tournèrent vers elle. Vers elle et tous ceux qui l’entouraient, ces femmes et ces hommes venus profiter d’une belle soirée parisienne.
Et tout s’accéléra. Des cris, des bruits de verre brisé, des chocs. En un instant, Alizée se retrouva au sol, la joue collée sur une dalle grise et froide. Christian s’était jeté sur elle. Du coin de l’œil, elle vit qu’il la regardait. Intensément.
— Je t’aime, lut-elle sur ses lèvres.
Alizée ferma les yeux. L’insoutenable horreur de la réalité et des sons.
Sortie 43, chapitre 23
— Jaloux !
— Oui. Je vous aime, avoua Pascal.
Un aveu expulsé spontanément, d’un ton plus sincère qu’il n’avait dû le vouloir.
— Mais non ! Vous ne savez même pas qui je suis ni comment je suis. Peut-être un mélange d’une vieille sorcière et d’une grosse vache !
— Vieille et grosse ? Vraiment ? Je vous rappelle que nous échangeons depuis des mois.
— C’est vrai… Mais ça ne compte pas, ce ne sont que quelques écrits. Je suis insupportable et j’ai plein de défauts !
— Ça reste à démontrer.
— Vous voulez un autre coup de cravache ?
— J’aurais préféré une véritable récompense. Récompense amplement méritée puisque j’ai répondu à votre curiosité dans la mesure de mes maigres moyens.
Sylvie fixa Pascal, dans les yeux, et se pencha vers lui. Sa main gauche glissa sur sa joue droite, faisant crisser les poils de sa courte barbe sous le latex du gant, puis lui attrapa le cou et l’approcha d’elle. Elle se pencha davantage. Pascal ferma les paupières. De ses lèvres rouges, Sylvie effleura la bouche, puis la joue gauche de l’homme dont le cœur battait à tout rompre, elle le sentait. Enfin, elle se jeta sur son cou, commença par lui aspirer la peau et termina en le mordant.
— Aïe ! cria Pascal
— Mais que les hommes sont douillets !
— Insupportable, disiez-vous ? Le mot est peut-être un peu faible…
Sylvie haussa les épaules avec un immense sourire :
— Vous vouliez une marque de reconnaissance…
Sortie 43, chapitre 25
— Ça s’annonce bien… pensa Sylvie, dépitée à l’extrême.
En face d’elle, deux hommes, confortablement assis dans deux grands fauteuils. Ils lui avaient proposé une chaise orange hors d’âge. Le silence traînait. L’un d’eux sirotait tranquillement son café. L’autre se lança, un sourire narquois au coin des lèvres :
— Bien… Vous n’ignorez pas la gravité de vos actes.
— A priori si… répondit Sylvie en décidant de ne pas s’énerver.
— Eh bien, ce que vous avez fait, c’est tout simplement interdit. Interdit ! Vous n’avez pas le droit de faire de telles requêtes à nos agents. Pas le droit !
— J’ai pris le gauche…
— Pardon ?
— Décidément… Non, laissez tomber…
— Nous allons donc devoir noter vos coordonnées pour notre rapport qui sera transmis à nos supérieurs, seuls habilités à demander une sanction disciplinaire à vos propres supérieurs, à votre encontre.
— Quelle efficacité administrative…
— C’est la règle, répondit l’homme au café en haussant les épaules. Alors vos nom, prénom et service.
— Lachan, Sylvie, préfecture de la Corrèze.
— Vous n’avez pas de service précis ?
— Non, pas vraiment…
— Et quel est votre poste ? Que faites-vous ?
— Pffff… Un peu de tout…
— Le courrier ? demanda l’un.
— Les photocopies ? proposa l’autre.
— Le café ? renchérit le premier.
Sylvie, ébahie, leva les sourcils. Les deux hommes se regardaient en gloussant, fiers.
— Le ménage ? ajouta le second.
Sylvie soupira :
— Oui, c’est ça… Je fais parfois un peu de ménage…
Elle désespéra de pouvoir tirer quelque chose d’utile de ces deux idiots, mais tenta malgré tout sa chance :
— J’avais d’autres questions, mais j’imagine que vous n’allez pas vouloir me répondre.
— Mais bien sûr que non, voyons ! s’exclama l’un des deux. Ce n’est pas la procédure !
— Ce n’est pas la procédure ! répéta son collègue.
Outré, il frappa le bureau de son index tendu :
— Il faut en faire la demande écrite. Demande qui sera validée ou invalidée par notre direction.
— C’est la règle, insista l’autre.
— Simple et efficace…
— Tout à fait ! sourit le fonctionnaire au café. C’est la règle.
Série thriller - policier - aventures - aviation
Les aventures de Sylvie Lachan
Romans en cours d'écriture
Sortie mémorielle (épisode 7)
Sortie mémorielle, chapitre 7
Sylvie se retourna et vit que les policiers l’observaient. Tuomas avec de l’étonnement, Josif de la curiosité, Dragan de l’inquiétude. Elle s’approcha de lui :
— Quel est cet endroit ?
Dragan hésita. Josif dit un mot. Dragan traduisit :
— La prison.
— Intéressant…
Tuomas s’approcha du mur, colla son visage au panneau de bois comme Sylvie l’avait fait plus tôt et l’éclaira en lumière rasante avec sa lampe :
— Vous avez replantées les épingles exactement où elles étaient ?
— Oui monsieur l’inspecteur !
— Je ne vois pas d’autres trous…
— Non monsieur l’inspecteur !
— Vous êtes…
— Indispensable et adorable ?
— Insupportable !
— Oui monsieur l’inspecteur !
Sortie mémorielle, chapitre 8
Après quelques lacets, le sentier descendit puis remonta, à flanc de montagne.
— Je crois qu’on approche, murmura Sylvie. Oui, la crête est là-bas. Mymy, cours te cacher derrière un arbre !
— Quoi ?
— Cours te cacher derrière un arbre ! Fais-moi confiance.
Sans comprendre, son amie obéit et disparut dans la forêt dense.
— Attendez ! s’écria Sylvie. Attendez ! Myriam est malade, elle a la gastro !
— Quoi ? grogna une voix féminine assourdie, mais outrée.
— Quoi ? dit Tuomas en se retournant.
— La gastro. La diarrhée.
— La courante, dit Coumbala.
— La chiasse, dit Franck.
— Caca mou ! dit Ina.
— Ohhhh ! Mais c’est fini, oui ?! gronda la voix féminine assourdie, mais encore plus outrée.
Sylvie fixa Coumbala qui réagit avec un temps de retard :
— Ah oui… Et moi, j’en peux plus, vous marchez trop vite ! Et j’ai des cailloux dans mes chaussures !
— Partez devant, on vous rattrapera plus tard, dit Sylvie. Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-elle en tapotant le canon de son fusil.
Les trois policiers n’hésitèrent pas longtemps et filèrent.
— Bien joué ! murmura Coumbala.
— Je peux sortir ? demanda Myriam.
— Caca mou ! répéta Ina.
— Essuie-toi bien avant ! se moqua Sylvie.
— Très drôle… Pour qui je passe, moi, maintenant ?
— Une chieuse, répondit Coumbala.
— Vous êtes nulles ! répondit Myriam entre deux rires.
Sortie électorale (épisode 8)
Sortie mémorielle, chapitre 6
— Mais merde ! C’est pas vrai !
Sylvie se demanda si elle avait parlé à voix haute. Face à elle, le sourire charmeur du serpent sournois. Elle serra les dents :
— Mais qu’est-ce qu’il fout là, ce con ?
Cette fois, avec la certitude d’avoir maintenu ses pensées dans son cerveau.
— Madame la préfète, quelle charmante surprise de vous croiser ici !
— Les joies des courses… grommela-t-elle.
Elle montra son caddie à moitié rempli avec un regard dépité sur les mains vides du serpent.
— Vous savez, madame la préfète, je suis totalement en phase avec tout ce que vous avez dit lors de la réunion. Il faut agir !
— Eh oui… Y a qu’à… Faut qu’on… Et il y a les vrais aussi…
— Pardon ?
Sortie mémorielle, chapitre 18
Sylvie s’arrêta et montra la plaquette à côté d’une porte ouverte :
Gestionnaire RH
Elle toqua et entra. Une femme, l’air désagréable, les cheveux gris, de grosses lunettes, l’examina des pieds à la tête, sans un mot, sans un mouvement.
— Bonjour madame, Sylvie Lachan, préfète de la Corrèze, je souhaiterais consulter votre registre de santé et de sécurité au travail, s’il vous plaît.
La femme se leva précipitamment, mais hésita :
— Mais… Euhhhh… Je ne suis pas sûre d’avoir le droit…
— Prenez le gauche…
— Euhhhh… Pardon ?
Sylvie se tourna vers Amandine :
— Elle marche jamais celle-là, je comprends pas…
Amandine ne put se retenir et rit entre ses lèvres serrées. Sylvie montra son téléphone :
— Qui préférez-vous que j’appelle pour vous motiver ? Votre chef, votre directeur, le ministère, le ministre ? Généralement, dans ces exercices de patience, plus c’est long, moins c’est bon…
— Euhhhh… Je ne sais pas…
Un regard perdu.
— C’est pas possible… grinça Sylvie entre ses dents.
Sortie mémorielle, chapitre 18
— Mon colonel fait des pointes sur du verre pilé avec une grenade dégoupillée dans chaque main et un balai dans l’arrière-train ! Il stresse à mort, il a peur de se planter. Entre une préfète intouchable qui défonce tout, la pression des élections, un pervers criminel et une administration pourrie…
Série érotique - policier
Les aventures de Chris Nahcal
Romans publiés
Entrée analogique, chapitre 6
— Putain de bordel de merde ! jura Pierre.
Le choc sur son bras. Le café brûlant sur sa veste, sa chemise, le haut de son pantalon et surtout sa peau.
La sensation de chaud fut immédiate, comme la colère. Mais elle retomba aussi vite qu'elle était montée et Pierre ne constata pas les dégâts. Son regard était parti ailleurs.
— Toutes mes excuses ! entendit-il.
La responsable de cet attentat vestimentaire s'éloignait, la main gauche levée en un vague geste d'excuse. Délicat et gracieux, insolent et sublime.
Son sang bouillonna. Cette voix rieuse, ce parfum enivrant, cette démarche féline, cette chevelure flamboyante, ce port de tête fier, cette main élégante, ces doigts graciles, ces épaules droites, cette taille fine, ces hanches voluptueuses, ces fesses fermes, ces jambes interminables, ce tailleur volcanique, ces bas raffinés, ces escarpins foudroyants.
Et cette montre...
C'était elle. La femme incroyable dont le souvenir hantait parfois ses nuits et ses rêves érotiques. La femme qu'il fantasmait. La femme qu'il voulait baiser encore et encore. La femme dont il voulait connaître le passé.
— Canon, hein ? Mais elle vous a pourri votre costume !
Le serveur venait de rompre l'enchantement. L'enchanteuse disparut à l'angle d'une allée, sans un regard.
Entrée analogique, chapitre 9
Un ange gardien veillait sur elle.
Elle leva la main et la posa contre la vitre froide. Le policier ne bougea pas. Ils restèrent longtemps à s’observer.
Une voiture approcha et brisa l’enchantement. Chris se décolla de la fenêtre embuée et fila se préparer. Une fois propre, elle se campa devant sa penderie. Une tenue spéciale pour une occasion spéciale et pour un homme spécial. Dessous, c’était simple : serre-taille noir, son accessoire préféré, avec un ensemble noir Aubade. Des bas couture noirs, talons cubains, ses préférés. Une robe en cuir noire, près du corps, avec une fermeture éclair sur l’avant permettant de l’ouvrir entièrement, un curseur à chaque extrémité. Le haut ressemblait à une veste, le bas s’arrêtait à mi-cuisse. Des gants en cuir noirs dépassant largement le poignet. Pour les escarpins, Chris hésita, puis se décida pour des Louboutin de douze centimètres. C’était haut, très haut, mais elle n’allait pas beaucoup marcher et, là encore, c’était ses préférés.
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